Josquin DEBAZ Mai 2014

Texte pour un catalogue Jeanne Villepreux-Power

 

 

 

Scientifique reconnue, voyageuse infatigable, dotée d’un fort talent d’artiste… l’inspirante Jeanne Villepreux-Power (1794-1871) est tout à la fois appliquée, déterminée et passionnée. A l’heure où la promotion des femmes dans la science apparaît plus que nécessaire, elle s’offre en figure exemplaire. Réunissant raison et passion, elle a su se faire accepter dans la communauté scientifique européenne du xixe siècle pour sa méthodologie expérimentale innovante, ses résultats décisifs et son inlassable assiduité.

De sa campagne corrézienne de naissance, une existence digne d’un conte de fée la mène à Paris et bientôt en Sicile. Dépassant castes et classes, elle s’y affirme parmi la société mondaine comme une femme moderne qui ne saurait s’en laisser dicter, de sa position comme de sa conduite, et devient, en autodidacte, une femme de science publiée en français comme en anglais, en allemand et en italien, capable d’en imposer aux grands naturalistes de son temps et digne d’intégrer quinze sociétés savantes de par l’Europe[1].

à Messine, la terrienne du Limousin se fait pionnière de la biologie marine, plusieurs décennies avant que ce détroit ne devienne la Mecque des zoologistes[2]. Elle y dissèque Murex, Triton et Cônes, étudie la physiologie digestive et reproductive du Poulpe, du Scaphandre, des Testacés et de l’Étoile de mer[3]. Pour autant, chez Villepreux-Power, la biologie s’éloigne fondamentalement d’une science de l’inanimé, et c’est bien sur les organismes vivants, leur développement, leurs mœurs et dans leur environnement et leur complexité qu’elle entend travailler. Laissant au passé le naturaliste de cabinet, elle expérimente et se revendique du biologiste italien Lazzaro Spallanzani et du naturaliste suisse Charles Bonnet. Pour ce faire, elle élève divers spécimens marins, et en particulier l’Argonaute qui la conduira à sa découverte majeure, montrant a contrario de l’opinion des spécialistes de son temps que l’animal est bien le producteur de sa coquille, et non un occupant secondaire tel le bernard- l’hermite[4]. C’est après une longue bataille et de nombreux rebondissements depuis l’Académie de Catane à la Zoological Society de Londres, en passant par le Muséum d’histoire naturelle de Paris, qu’elle verra reconnaître la justesse et l’antériorité de cet apport[5].

Le spectre de ses aptitudes est des plus étendus. Elle domestique la Martre et observe son comportement[6]. Elle sait dresser des cartes topographiques et peint ses spécimens en de superbes aquarelles, dont il ne reste, après le malheureux naufrage ......


[1] Josquin Debaz, « Jeanne Villepreux-Power, être une femme dans la communauté scientifique sicilienne 1818-1842 », in Adeline Gargam, Femmes de sciences de l'Antiquité au XIXe siècle - Réalités et représentations, PU Dijon, 2014.

[2] Christiane Groeben, « Tourists in Science: 19th Century Research Trips to the Mediterranean », Proceedings of the California Academy of Sciences, 59, suppl. 1, 9, 2008, p. 139-154.

[3] Jeannette Power, Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins et terrestres, Paris, de Mourgues, 1860.

[4] Jeannette Power, Observations physiques sur le Poulpe de l’Argonauta Argo, commencées en 1832 et terminées en 1843, Paris, de Mourgues, 1856.

[5] Josquin Debaz, « Cendrillon et la querelle de l’argonaute », Pour la science, n°396, octobre 2010, p. 82-86.

[6] Jeannette Power, « Mœurs de la Martre commune », Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins et terrestres, op. cit.


 

 

 

....... de son cabinet d’histoire naturelle en 1838, qu’un exemplaire déposé au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Avec cela, elle se penche et publie également à propos des papillons[1], ou plus tard sur les météores[2]. Par ailleurs, elle met au point des procédés de conservation originaux qui permettront à certaines de ses collections de servir, à Londres, de preuve tangible à opposer aux coquilles sèches et rigides de ses contradicteurs[3]. Et plus encore, pour mener à bien ses observations et expérimentations de longue haleine, elle invente et développe les premières formes modernes de l’aquarium[4].

De la Sicile qui l’héberge durant plus de vingt ans, Jeanne Villepreux-Power a exploré toutes les facettes et toute la surface. Elle en a catalogué tous les aspects, en a compilé et collectionné les richesses fossiles et naturelles, mais aussi les trésors historiques et culturels. A l’intention des scientifiques et des voyageurs instruits de son époque, elle donne un imposant guide qui recouvre tout qu’il leur faut savoir de l’île[5]. Elle y recense et décrit ce qui doit être visité dans chaque ville et village, l’architecture, l’histoire, mais aussi les collections et les cabinets privés des savants amateurs et professionnels. Ses inventaires comptent 267 espèces d’oiseaux, une flore de 627 plantes et 66 arbres, plus de 600 mollusques, 132 poissons et 116 crustacés, 610 fossiles et 142 minéraux, 250 coquillages fossiles… Cette somme est alors reconnue par les lettrés siciliens comme l’outil qui leur manquait pour défendre l’honneur intellectuel et culturel face aux prétentions de la France et de l’Angleterre.

Européenne avant la lettre, Jeanne Villepreux-Power vivra en Sicile, à Londres et à Paris, mais c’est à Juillac qu’elle choisit de passer ses derniers jours, retour auprès des siens de la fille prodige et prodigue de ses talents. N’ayant pas occupé de poste officiel, elle sera oubliée et redécouverte à plusieurs reprises : à la fin du xixe siècle par de Nussac, Perrier et Rebière[6], dans les années 1930 par Hallaure[7], dans les années 1970 par de Requeville[8], et enfin dans les années 1990 par Arnal[9].

Josquin Debaz 14 mai 2014


[1] Jeannette Power, « Chenilles et papillons commune », Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins et terrestres, op. cit.

[2] Jeannette Power, Observations sur l’origine des corps météoriques, aérolithes, bolides, Paris, A. Chaix, 1867.

[3][3] Josquin Debaz, « Déplacer l'observation : la preuve chez Jeannette Power », Naturalista siciliano, S. IV, XXXVI (2), 2012, p. 191-200.

[4] Matilda Joslyn Gage, « Woman as an Inventor », The North American review, 1883, 136, 318, 478–489.

[5] Jeannette Power, Guida per la Sicila, reimpr. sous la direction de Michela D’Angelo, Messine : Instituto di studi storici Gaetano Salvemini, 2008 (1842).

[6] Louis de Nussac, « Pour un tombeau abandonné. A la mémoire de Jeannette Power, naturaliste. », La République. Journal du département de la Corrèze, 8 novembre 1911, 41e année, n°5346 ; Edmond Perrier, À travers le monde vivant, Paris, Flammarion, 1916 ; Alphonse Rebière, « Madame Power. Une naturaliste oubliée », Bulletin de la société des lettres de la Corrèze, 21, 1899, 303-329.

[7] Jean Hallaure, « La Bergère Lili Villepreux. Mère de l’Océanographie », Bulletin de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze, 1935, 52, 71-79.

[8] Jeanne de Recqueville, « Jeannette Power-Villepreux, précurseur de l’océanographie », Femmes médecins, VII, 1, 1971, 33-45.

[9] Claude Arnal, « La Dame des Argonautes », Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, 1994, p. 179-189.